Littérature

Comme un seul homme

Nouvelle découverte grâce au Picabo River Book Club et aux éditions Fayard cette fois, le roman de Daniel Magariel : Comme un seul homme. Une lecture coup de poing, qui remue, choque et interpelle par son réalisme.

L’histoire est simple en apparence : un divorce, un des parents (le père en l’occurrence) qui obtient la garde de ses enfants, qui gagne « la guerre », comme il dit.
Un déménagement, pour une nouvelle vie, loin de la mère « qui n’a jamais rien fait », loin du passé.

Ça aurait pu être le début d’une belle aventure entre un père et ses deux fils, on aurait pu être témoin d’une renaissance. Ce sera en fait une descente aux enfers de deux garçons face à un père tyrannique, violent et manipulateur.

Tout au long de ma lecture, je n’ai pas pu m’empêcher de faire le parallèle entre ce livre et celui de Gabriel Tallent, My absolute darling. On est face au même schéma : des enfants qui se débattent face à un père abusif.
Dans Comme un seul homme, Daniel Magariel dépeint la relation de deux frères face à la folie d’un père qu’ils idolâtrent depuis l’enfance. Pas de prénoms, juste une histoire vue à travers les yeux du plus jeune. On les suit depuis le départ vers leur nouvelle maison, changement initié par le père pour échapper à la mère, pour être enfin libres et heureux tous les trois.
unnamed (3)Au début on doute encore. On ne sait pas comment se positionner face à cette histoire qui se dessine petit à petit au fil de la lecture. Une chose est sûre : le père fuit avec ses enfants, et ces deux derniers le suivraient au bout du monde. Alors on lui laisse une chance. Après tout, on a tous le droit à une chance. On observe, on décrypte. On voit deux frères mettre tout en oeuvre pour obtenir la fierté de leur père, avoir un petit moment privilégié, voir une complicité naître. Malgré des liens très forts, on perçoit la jalousie, l’envie, la compétition, pour avoir « un peu plus que l’autre ». Une relation normale finalement, comme dans toute fratrie. Sauf que le père se faufile dans chaque faille, dans chaque doute, pour instaurer une méfiance et une défiance entre ses fils.

Ce « père », parlons-en. Pourri jusqu’à la moelle, on comprend très vite qu’il exerce son ascendant pervers et dévastateur sur sa famille depuis bien longtemps. C’est un homme dont le charisme a toujours ébloui ses enfants, jusqu’à les aveugler totalement. Après les avoir montés contre leur mère, il tentera de les monter l’un contre l’autre, ventant les qualités de l’un tout en dénonçant les travers de l’autre.

Malgré toute la noirceur et la dureté du récit, le malaise (comprendre = l’envie de vomir) qu’on ressent à chaque fois que le père entre en scène, la lumière trouve aussi sa place. Elle peine à se frayer un chemin parfois, on lui bloque le passage souvent, mais elle est là, et elle repose entièrement sur la relation entre les deux frères. A travers le regard du plus jeune, Daniel Magariel dépeint avec brio la complexité de ce duo, dont la force réside dans leur unité qui sera à plusieurs reprises mise à mal par leur géniteur.
La puissance de cet ouvrage repose justement sur la manière dont l’auteur fait évoluer ses deux héros, livrés à eux-mêmes et faisant face à des situations d’une brutalité croissante. Bien loin des préoccupations que n’importe quel ado peut avoir, et qu’ils aimeraient eux-même avoir, ils naviguent tant bien que mal dans le désordre de leur vie, de leur appartement et de leur famille qui n’est plus qu’un champ de ruines. Avec beaucoup de justesse, le texte décrit comment depuis leur enfance, les deux garçons ont été conditionnés par un père tyrannique, et nous emmène avec eux à la poursuite de leur liberté (la vraie).

J’ai vraiment été embarquée par ce roman court mais d’une efficacité effrayante et troublante, dont on ne sort pas indemne et qui se lit d’une traite. Laissez-vous donc convaincre par ce presque-huit-clos étouffant, porté par la plume aiguisée de Daniel Magariel, elle-même mise en valeur par la traduction de Nicolas Richard. Bref, une sacrément belle découverte !

Bonne lecture !

Le Joli

 

 

 

17 réflexions au sujet de “Comme un seul homme”

    1. Ahaha je peux comprendre ! Après il faut je pense être dans un certain état d’esprit pour lire cet ouvrage. Il y a des moments où notre cerveau n’a pas forcément envie d’accueillir ce genre de texte…
      Merci de m’avoir lue en tout cas 🙂

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  1. Aaaah, tu as participé sur le Picabo, je ne savais pas 🙂 Et je l’ai reçu aussi ! Je dois encore rédiger ma chronique, mais elle dira en substance la même chose que la tienne, je te rejoins totalement ! C’est fort, c’est brut, c’est révulsant – et l’écriture rend tout ça à merveille !

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    1. Héhé oui ! Quelle belle découverte encore, je suis vraiment contente d’avoir reçu ce livre, il fait partie de mes plus belles lectures de l’année.
      Je sais que tu as lu My Absolute Darling toi aussi, as-tu également fait un parallèle entre les deux bouquins ?
      Hâte de lire ta chronique en tout cas !

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      1. Oui, à la fois comme tu dis dans le fond (père abusif) que dans la forme, une écriture qui ne ménage pas le lecteur, et qui livre une histoire vraiment brute, sans forcément laisser d’espoir que ça s’arrange.
        Plus généralement, je me rends compte petit à petit que j’apprécie cet aspect-là de la littérature nord-américaine, qu’il semble y avoir une catégorie de lectures assez « crues », brutales, mais extrêmement belles qui me parle énormément !

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        1. Oui je suis totalement d’accord avec toi. C’est quelque chose que j’ai découvert via l’écriture de David Vann et c’est vraiment une écriture qui me parle pas mal aussi. Pourtant je ne suis pas spécialement maso, mais je crois que j’ai vraiment besoin d’être bousculée quand je lis. Malgré tout, c’est parfois un peu éprouvant, donc j’essaie d’alterner avec des lectures légères de temps en temps 🙂

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