BD, Littérature

Instants BD #2

En m’inspirant ouvertement et de manière assez outrageante des chroniques BD de Julie Juz (que je vous incite à découvrir ILLICO MACIAS, ainsi que l’entierté de son blog tant qu’on y est) me revoilà avec un second numéro de mes « Instants BD » (qui, je pense, ne sera pas le dernier) !

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Ma première lecture du week-end aura été Vies volées, Buenos Aires, Place de mai de Matz et Mayalen Goust, parue aux éditions Rue de Sèvres.

Nous y faisons la connaissance de Mario et Santiago, deux potes et colocataires vivant à Buenos Aires. Tous deux font partie de la jeune génération et n’ont pas connu la dictature militaire qui a traumatisé le pays de 1976 à 1983.
Très marquée par cette période, la population argentine soigne petit à petit ses blessures, même si certaines plaies restent à vif. Parmi les traumatismes de la dictature, il y a celui des grands-mères de la Place de Mai, des femmes dont les enfants ont disparu sans laisser de trace et à qui le régime a pris soin de voler les nourrissons tout juste nés pour les placer dans d’autres familles. 500 bébés sont concernés et certains d’entre eux, devenus adultes et pris de doutes sur la famille dans laquelle ils ont grandis, cherchent à en savoir plus sur leurs origines. Mario, qui ne ressemble pas à ses parents, est de ceux-là. Un beau jour, il prend son courage à deux mains et décide d’aller à la rencontre de l’une des grands-mères. Cette dernière lui expliquera la marche à suivre pour procéder à un test ADN. Santiago, qui l’accompagne à la clinique le jour J, tombe sous le charme de Victoria, une jeune infirmière, elle-même sur les traces de ses parents biologiques. Pour attirer son attention, il décide de faire lui aussi le test.

J’ai vraiment beaucoup aimé cette BD. Déjà parce qu’elle m’a fait découvrir un pan de l’Histoire que je ne connaissais quasiment pas. J’avais bien entendu parler de ces mères à la recherche de leurs enfants disparus devenues, par la force du temps, des grands-mères en quête de réponses et de retrouvailles avec leurs petits-enfants volés par la dictature. (J’aimerai d’ailleurs chercher à en savoir plus sur cette période et sur cette histoire donc si quelqu’un ici a des titres à me donner, qu’il-elle ne se gêne pas !)p5_vie_volee

Et puis, au delà de ça, j’ai aimé la pudeur du scénario de Matz ainsi que la douceur du trait et des couleurs de Mayalen Goust.
Malgré le sujet douloureux et délicat, il y a, mêlée à la tristesse et la gravité, une certaine légèreté portée par les personnages de Mario et Santiago, qui se retrouvent pourtant l’un et l’autre au carrefour de leur vie, secoués par des révélations qui les marqueront à jamais.

Bien sûr l’histoire des deux amis en elle-même est assez attendue et ne réserve pas de surprises, mais on ne tombe jamais dans le pathos et on s’attache vraiment à eux, sans avoir tellement envie de les quitter.

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Après ça, j’ai fait un bond un peu plus éloigné dans le temps pour aller à la rencontre des Filles de Salem (éditions Dargaud).
ioiGrâce au trait de Thomas Gilbert, la colonie de Salem, en Nouvelle-Angleterre, prend vie sous nos yeux. Dans ce village dont nous connaissons tous le nom et la triste histoire, Abigail vivait heureuse avec son père et sa belle-mère. Elle profitait de la nature environnante, riait avec ses amies, notamment Betty, la fille du pasteur.
Et puis un jour, un jeune garçon lui offre un petit âne en bois sculpté, et Abigail devient soudainement une femme aux yeux de la communauté. Elle qui était si insouciante doit désormais marcher tête baissée pour ne pas attiser les désirs (déjà bien vivaces) des hommes (déjà bien saouls) du village (déjà bien étriqué dans ses mœurs hypocrites).
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, c’est aussi à cette période que Salem va devoir faire face à une disette assez rude, doublée de phénomènes inexpliqués (naissance d’un agneau à deux têtes par exemple) un peu flippant.
Et quand tout le monde flippe qui est-ce qui trinque ? Les femmes bien entendu !

A travers l’histoire d’Abigail, c’est l’histoire des femmes de Salem que Thomas Gilbert retranscrit avec beaucoup de justesse et de finesse. Bien que connaissant un peu les événements, j’ai été terrifiée du sort subi par toutes ces malheureuses qui n’avaient rien demandé (comme souvent). Bref, une très bonne BD, qui m’a donné envie d’en savoir beaucoup plus sur cette période et sur ces femmes (du coup, j’en profite pour réitérer ma demande de titres divers et variés à lire sur le sujet).

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klRestons dans le joyeux et le coloré (non) avec Le rapport de Brodeck de Manu Larcenet (chez Dargaud toujours) adaptation du livre de Philippe Claudel (que je n’ai pas lu).

J’ai découvert ces BD grâce à la rubrique de Julie Juz, dont je vous parlais plus haut, et je me les suis faites offrir pour Noël (quelle force de persuasion !).
Je vous épargne tout de suite le suspense : je ne regrette absolument pas d’avoir ces beautés dans ma bibliothèque. Clairement, ce sont des objets magnifiques qui rendent complètement honneur au travail d’orfèvre de Manu Larcenet.

Nous sommes dans un petit village perdu dans les montagnes, après la seconde guerre mondiale. Brodeck est revenu des camps de la mort après une longue marche, il a retrouvé Fédorine, cette vieille femme qui l’a recueilli enfant et avec qui il a trouvé refuge au sein de cette petite communauté, Emélia, sa femme et leur petite fille.
Un soir, Brodeck se rend à la taverne du village pour acheter un peu de beurre. Quand il arrive, il comprend que quelque chose de grave s’est passé. L’Anderer, un étranger débarqué quelques mois plus tôt, est mort. Les hommes du village, tous présents, chargent Brodeck d’écrire le rapport qui devra expliquer ce qui s’est passé ce soir-là.

Contraint d’accepter, Brodeck, à travers son enquête minutieuse, procédera malgré lui à une introspection douloureuse dans son passé et révélera les visages les plus hideux du village, souvent cachés derrière une avantageuse place ou des amitiés intéressées.
Cette histoire, qui nous plonge dans ce que l’humanité a de plus barbare, à travers l’évocation de la guerre, de la délation, de la Shoah, et de laideur qui se cache souvent dans les tréfonds de chacun d’entre nous, est troublante de réalisme dans la main de Manu Larcenet.

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L’image est sombre, chaque trait précis, chaque regard intense. L’Homme dans toute sa complexité est dans les dessins de Manu Larcenet. C’est aussi beau que s’en est douloureux. Je me dis d’ailleurs qu’il faudrait que je me replonge dans cette BD prochainement, pour bien m’attarder sur chacune des vignettes pour observer chaque détail.

Plusieurs belles trouvailles donc, que je vous souhaite de découvrir 🙂

Bonne lecture !

Le Joli

 

 

 

12 réflexions au sujet de “Instants BD #2”

  1. Ok, je veux tout lire !
    Je veux aller découvrir ce pan de l’histoire argentine que je ne connais pas (si ça laisse entendre qu’à part ça, je suis une spécialiste de l’histoire de l’Argentine, je précise que ce n’est absolument pas le cas).
    L’histoire de Salem a tout pour me plaire (et m’énerver aussi).
    Et puis le Rapport de Brodeck… j’attends depuis des lustres de me l’offrir, donc ton avis ne fait que raviver cette envie. J’avais adoré le roman et puis Manu Larcenet quoi… ♥
    Conclusion : tu ne fais pas du bien à ma wish-list.

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    1. Franchement le Rapport de Brodeck est juste magnifique. Je veux dire, chaque page est une gravure d’une précision ahurissante. C’est un très bel objet, au delà de l’histoire. Tiens d’ailleurs ça me fait penser qu’il faut que je lise le roman (*sauras-tu percevoir le sous-entendu derrière cette phrase ?*)

      Et pour les deux autres, évidemment si tu as l’occasion de les découvrir, je ne peux que t’encourager 🙂

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