Cinéma

Clint Eastwood, tête de Mule

Clint Eatswood est plutôt du genre tenace. Disons que faire des films toute sa vie et continuer encore (et encore), jusqu’à bientôt 89 ans, montre une détermination certaine. Alors, en faire oui, mais des bons ? Même si je ne suis pas de celles et ceux qui ne manquent aucun de ses films, je me suis laissée tenter par La Mule qui, étrangement, m’inspirait et ma non-attente a été récompensée.

La séquence d’introduction nous donne le ton : des lys, une musique apaisante. Le film est soigné, la photo est belle, les plans sont cadrés pile poil. Ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire la grimace, Clint Eatswood est un bon réalisateur et la qualité de la mise en scène est certaine, n’en doutez pas. Ces premières images, par effet de miroir seront également celles de fin, comme si Monsieur Eastwood décidait de refermer son livre.

On va rentrer assez vite dans le vif du sujet. Earl est âgé, entouré de mexicains, il aime clint-eastwood-dans-le-film-la-mule-bfe71b-0@1xles fleurs, est reconnu par son milieu, en retrait de la technologie moderne, a quelques difficultés à joindre les deux bouts et, surtout, à avoir de bonnes relations avec sa famille. Puis, fatalement, vient la faillite, tout ça va se mélanger, et l’ordre des priorités d’Earl va se renverser. A l’origine de ce chavirement, une dispute familiale et une rencontre, qui jouera le déclencheur et fera tout basculer. Justement, c’est à cet instant précis que la famille deviendra la priorité du vieil homme, au fur et à mesure, au fil du film.

Soyons clairs (et sans spoiler), on est dans un bon cartel de drogue pour lequel Earl va faire « quelques courses ». Nonchalance ou banalisation, le bonhomme n’a pas l’air de changer face à cette nouvelle activité qui pourtant le fait passer de l’autre côté. Il ne modifie pas sa routine et désamorce le décalage avec la gravité de sa situation par un regard presque innocent, sûrement dû à la « sagesse » de l’âge.

La Mule c’est un Clint Eastwood vieux, très vieux, qui livre ici un bon film, qui moque un peu la modernisation de notre société, dévoilant les vieux filons qui fonctionnent Iris-Alison-Eastwood-Earl-Stone-Clint-Eastwood-maitrisede_0_729_486toujours. Le dialogue et l’écoute à l’honneur, la prise de conscience sur l’argent, l’ambition et le temps qui ne pourront jamais se mêler. En filigrane, on est face au mea culpa d’un homme qui s’est dévoué corps et âme toute sa vie au travail, à une passion, délaissant l’amour des siens et les moments clés. Alors sur le tard, cet homme se réveille et voit les choses en face, ses choix passés, mais surtout ses choix à venir. Assumer le temps, ne pas pouvoir le rattraper, ne pas pouvoir l’acheter, et essayer tant bien que mal de réparer et d’en profiter. Ne serait-ce pas comme un bilan de votre vie Monsieur Eastwood ? L’homme adapte ici l’histoire vraie de Léo Sharp, vétéran de guerre devenu passeur de drogue, et, même si j’ignore finalement la raison pour laquelle ce film est fait, la pensée devient tendre à s’imaginer le vrai Clint prenant leçon de son personnage. La pensée devient tendre de se dire qu’on est peut-être face à un film testament. Que peut-être cette légende hollywoodienne pense (encore?) à sa fin.

Pour s’entourer, Eastwood choisit ici deux bonnes têtes connues : Bradley Cooper, quoi qu’un peu fade, tient son rôle avec justesse, accompagné par un Laurence Fishburne, presque inexistant à la vue du nombre de ses apparitions mais toujours bon malgré tout. Difficile de faire de l’ombre au vieux mage de La Mule.

Dans la société actuelle, tout le monde cherche à être quelqu’un et à exister aux yeux des autres. Les personnages ici n’échappent pas à cette règle, peu importe le milieu, c’est une constante : Earl aux yeux de sa famille, sa fille à ses yeux, l’Agent Bates face à ses supérieurs, et même au sein du trafic de drogue. Finalement, l’essentiel n’est-il pas pour chacun de s’accomplir en tant qu’individu, sans pour autant mettre de côté ceux qui nous sont le plus cher ? C’est justement ce qui sauvera notre bon Earl et lui donnera l’occasion de mettre un terme à sa situation de manière presque correcte, et de donner une fin apaisée et apaisante.

Soulignons que Clint se joue un peu du délit de faciès à travers les relations d’Earl, les mexicains et la police. Comprendre : un bon vieux blanc ça présente toujours mieux, on a tout de suite confiance et ça peut même être pardonné de dire « nègre »… Bon, quand on connait l’avis d’Eastwood là dessus, c’est un peu limite mais il arrive malgré tout à prendre le contre pied.

Pour conclure, et pour être honnête, en voyant les premiers plans de La Mule, je me suis dit que, vraiment, ça se voyait, que le monsieur devrait peut être cesser, qu’il était peut être temps. Mais tout au long du film, il crève l’écran. Il prend toute la place, et quelle place ! Il faut bien l’avouer, ce petit mélange visuel empli de tendresse dû à son grand âge, d’un brun de nostalgie dû à une époque révolue et de cette vieillesse assumée en tant que telle, ça fonctionne. Ça fonctionne simplement parce qu’on est loin d’un cinéma américain bien lissé. Ici Clint est âgé, mais c’est un rôle pour lui. L’histoire ne marcherait pas sans ça, sa présence n’est pas qu’un prétexte. Fidèle à lui-même, il garde ses codes de réalisation : une caisse, une vieille chemise, une tête de vieux calme renfrogné. Sa marque de fabrique et son âge lui servent bien ici. Finalement, ce serait presque le temps le personnage principal.

« Tout acheter sauf le temps ».

La Moustache.

La Mule de Clint Eastwood – Sortie le 23 janvier 2019mv5bmtk5njcymzewmv5bml5banbnxkftztgwmjgxmju5njm-_v1_sx1777_cr001777742_al.jpg

9 réflexions au sujet de “Clint Eastwood, tête de Mule”

      1. C’est très gentil, mais tu m’as réduite au silence ! Non sans rire, je n’ai rien de plus à dire, ce ne serait qu’un mauvais résumé de ta chronique, je préfère mille fois partager cet article !

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  1. Quel bel article ! Merci pour cette très belle chronique, qui permet de se faire une idée et qui me confirme dans mon cas, le souhait de le découvrir au cinéma. Je ne suis pas une fan inconditionnelle de Clint Eastwood mais il faut bien avouer que voir son nom à l’affiche attire réellement. Affaire à suivre !

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