Cinéma

Mustang, la pépite.

Rattraper le temps est impossible, heureusement rattraper le talentueux Mustang de Denize Gamze Ergüven est réalisable. Je n’avais à l’époque pas saisi l’engouement autour de ce film, simplement par bêtise de ne pas m’y être penché, puis vint la révélation.

photo-2_1Mustang, donc, l’histoire de 5 sœurs. Turquie actuelle. Elle vivent et débordent d’énergie, puis le temps, ou plutôt les traditions, les rattrapent. C’est l’heure de te marier, de devenir femme alors que jusqu’ici, idéalement et malgré la fougue de ta jeunesse, tu ne devais être qu’une ombre, ne pas te montrer, baisser les yeux et te taire. Evidemment ici, deux thèmes principaux vont se dessiner : l’amour incommensurable de ses sœurs et le trait non-forcé des mœurs turques, de la position des femmes et de leurs obligations.

Ce film est une véritable dentelle. Les personnages sont élaborés avec force. Les filles ont toute un caractère différent, elle pétillent mais sans tomber dans le cliché. Elles sont complètes de poésie, de douceur, de bagout, d’humour, d’innocence, de maturité, d’obéissance et de rébellion, tout ceci dans un écrin de jeunesse pourtant habitué à être bousculé. Les personnages secondaires, même s’ils paraissent survolés, ont sens et corps en très peu de plans, on en saisira toute l’essence quasiment immédiatement. La réalisatrice a du talent, une vision précieuse de la vie et le transmet avec finesse à ces comédien.ne.s. Le film pourrait être résumé avec cette image, subtil comme une caresse à la surface de l’eau, mais dont l’empreinte s’imprègne tout de suite en vous.

En fait, Denize Gamze Ergüven travaille la douceur, le féminin dans l’espace, dans les mouvements et dans les couleurs. Tout ressemble à une douce chorégraphie, les cadrages sont toujours judicieux. Les corps des sœurs sont souvent entremêlées ou isolés les uns des autres, leurs cheveux longs toujours détachés. Comme pour montrer leur délicatesse, leur complicité, leur unicité et leur mustang-cannes-film-festival-2féminité en de simples éléments. Des plans à l’épaules, pour être au plus proche de la vie, suivent magnifiquement et précisément leurs déplacements (et pour une fois, ne donnent pas le tournis au spectateur), se mélangent en toute harmonie à des plans d’ensemble très beaux, rendant une image travaillée et fluide. Une très grande importance est donnée à la lumière qui s’invite par touche dans des plans bien choisis. Tout est fait pour sublimer les sujets, ça fonctionne et c’est un régal. Les sons et les ambiances ne sont pas en reste. On laisse autant la place aux silences, qu’aux voix euphoriques des filles, tout en mettant en avant des dialogues réfléchis.

Alors bien sûr, sans trop vous en dire, on abordera ici l’éducation des filles, les tâches à accomplir, la couture, la cuisine, le ménage. Les mondes opposés et hypocrites entre les hommes et les femmes. Les traditions qui viennent briser les élans, les rêves ou que sais-je, et justement dans tous ça, les petits esprits en qui naissent la soif d’indépendance, les gestes spontanés qui soulèvent l’impossible et qui donnent à ce film toute sa justesse, et toute sa beauté, pleine de vérité.

Mustang-de-Deniz-Gamze-Ergueven-749x421On pense un moment tendre vers Virgin Suicide de Sofia Coppola ou Picnic at Hanging Rock de Peter Weir (dont Sofia s’est elle-même inspirée d’ailleurs) pour le travail de la lumière et la douceur du rythme, mais non. Mustang va plus loin, Mustang est à part, c’est un appel à la liberté de la femme, à la puissance de la volonté, aussi jeune soit elle, à l’envie de brusquer les codes et l’histoire, une ode au coup de pompe dans le cul des gens qui oppriment.

Alors sincèrement, il est difficile de parler de ce film sans vous spoiler ou sans vous raconter les différents événements, les très beaux et les très tristes, qui s’y déroulent. Sans vous dire à quel point la fin est intelligente vis à vis du début. Sans rien vous détailler. Mais c’est important car la découverte de ce film est précieuse si elle est totale. Ainsi, je ne vous dirai donc plus rien, mis à part que Mustang mérite amplement son Goya et son César, que c’est d’une subtilité incroyable malgré le propos, et que c’est visuellement somptueux ! Pépite filmique assurée.

La Moustache

hQ_KcbDaMk0mD9HvqinqWtXEzTA.png

18 réflexions au sujet de “Mustang, la pépite.”

    1. Ah oui vraiment ça a été la révélation, je suis contente d’avoir attendu un peu avant de le voir, je ne m’attendais plus à rien, donc coup de coeur en plein visage aussi!

      J’aime

    1. Oui c’est vraiment un petit trésor. Avant de le voir j’avais peur d’atterrir dans un film un peu glauque je t’avoue, j’ignore pourquoi, et finalement pas du tout, c’est très fluide malgré le sujet.

      Aimé par 1 personne

  1. Ce film est aussi lumineux dans sa forme qu’il est sombre dans ce qu’il raconte… Ses jeunes comédiennes sont d’un naturel désarmant et montrent de par leur talent que la liberté n’a pas de prix… Assurément une « pépite », oui.

    Aimé par 1 personne

    1. Tellement 100% d’accord avec ce que tu viens d’écrire! On ne se rend même pas compte à quel point le jeu de ces jeunes filles est parfait! Tout s’articule très justement dans ce film.

      Aimé par 1 personne

  2. Je suis trop contente de lire cette chronique ! Ce film a été un énoooorme coup de coeur à sa sortie et je l’ai revu une ou deux fois depuis avec un immense plaisir, un vrai émerveillement à chaque fois. Imagine ma joie quand j’ai constaté son ajout au catalogue Netflix !

    Aimé par 1 personne

      1. J’ai été voir, mais je ne l’ai pas trouvé dans le catalogue, c’est bizarre. Il a peut-être déjà été retiré ! Dommage… :/

        J’aime

  3. C’est vrai que ce film est assez exceptionnel !! En effet, j’avais peur en le commençant de me diriger vers une histoire « à la Virgin Suicides » (film que je n’avais pas spécialement aimé), mais j’ai trouvé Mustang beaucoup plus fort ! C’est certainement une question de sensibilité personnelle, mais je suis ravie de voir que tu as aimé cette pépite 🙂

    Aimé par 1 personne

    1. J’ai commencé le film avec le même sentiment et j’ai eu un peu peur aussi car Virgin Suicides n’est pas un film que je trouve « exceptionnel » disons, mais je suis totalement d’accord, Mustang est nettement plus au dessus!

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire