Cinéma, Littérature

The Hate U Give – Lecture & visionnage

Un livre, un film. Deux supports, une histoire.

J’avais beaucoup entendu parler du roman d’Angie Thomas à sa sortie, puis du film qui en a découlé quelques temps plus tard. Si d’habitude j’ai plutôt tendance, je l’avoue, à faire ma feignasse et à commencer par voir les films, j’ai pour une fois résisté à la tentation et j’ai ouvert le livre… puis les yeux.
Un roman, puis son adaptation au cinéma par George Tillman Jr. Ce n’est pas la première fois que l’idée me traverse l’esprit mais aujourd’hui je me lance dans une « analyse » (avec de graaaands guillemets) de l’oeuvre dans ses deux formes.

Screenshot_20190711_105648.jpgThe Hate U Give, c’est l’histoire de Starr, jeune américaine de 16 ans. 
Starr est noire, et elle vit dans un quartier difficile, rythmé par les guerres de gangs, la drogue et les descentes de police. Pour lui assurer un avenir meilleur que celui auquel son origine sociale et ethnique, autant le dire, la « prédestine », son père, ancien membre de gang (et par extension, ancien taulard), et sa mère, infirmière, l’ont inscrite, avec ses deux frères Seven et Sekani, dans une école presque exclusivement composée d’élèves blancs dans la banlieue chic. Tous les jours, elle traverse donc la « passerelle » mentale et physique qui relie ces deux mondes, où elle est deux versions différentes d’elle-même.
Au lycée, elle est presque une attraction pour les autres élèves. Déjà parce qu’elle est noire. Et aussi parce qu’elle est la seule qui habite dans un quartier sensible. Ses meilleures amies, Hailey et Maya, comme beaucoup d’autres de ses camarades, résident dans la banlieue huppée de la ville.
Quand elle revient chez elle le soir, ou qu’elle sort le week-end avec Kenya, la demie-soeur de Seven, elle est « l’amie des blancs », celle à qui l’on reproche de ne pas se soucier des problèmes du quartier.

Bref, Starr essaie chaque jour de préserver l’équilibre fragile de sa vie tout en espérant trouver un jour sa place parmi ces gens qui, d’un côté comme de l’autre, ne l’acceptent finalement pas telle qu’elle est.

Un soir, elle se rend à une fête avec Kenya et a le plaisir de retrouver sur place Khalil, son ami d’enfance. Cette soirée aurait pu être synonyme de banales (mais heureuses) retrouvailles entre deux amis, synonyme de plongée dans les souvenirs d’une enfance pas si lointaine mais pourtant déjà tellement éloignée de ce/ceux qu’ils sont désormais. Pourtant, ce soir-là, Khalil meurt, tué de trois balles dans le dos par un policier sous les yeux de Starr, qui est la seule témoin.

À l’annonce de la tragédie, le quartier s’embrase tandis que la police cherche à étouffer l’affaire, plus ou moins soutenue par les médias qui s’appliquent à trouver des circonstances atténuantes à l’agent qui a tiré. Après tout, face à un « dangereux dealer de drogues », que pouvait-il faire d’autre ?
S’en est trop pour Starr qui, bien que dévastée, est décidée à témoigner sur ce qu’elle a vu et à faire en sorte que la mémoire de son ami ne soit pas salie. Mais comme si faire face à la « justice » et à la police ne suffisait pas, elle devra aussi garder la tête froide face au gang des King Lords qui régissent et sème la terreur (ainsi que la drogue et la mort) dans le quartier.

Autant le dire tout de suite, j’ai dévoré ce livre en un rien de temps. L’histoire est vraiment très prenante, et aborde beaucoup de sujets comme l’amitié, l’amour, la mort, la famille, le tout à travers le prisme du racisme et de la violence qui règnent actuellement (enfin « actuellement »… bref, vous m’avez comprise) aux États-Unis.
Starr est la narratrice de cette histoire (que ce soit dans le livre ou dans le film), on la suit dans son quotidien, ses questionnements, ses peurs, ses tristesses et ses colères. On pourrait penser que parce que ce livre s’adresse à un public jeune, la violence de cette histoire est minimisée. Détrompez-vous ! Tout ce que Starr ressent, on se le prend de plein fouet, en pleine face, et c’est tout l’intérêt du texte de Angie Thomas, justement parce que pour la jeune fille, le drame, qui n’est pourtant pas le premier qu’elle traverse, va éveiller en elle tout un tas de sentiments tant personnels que citoyens…

3095464.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx.jpg…et si le film m’a déçue, c’est justement parce que je trouve que trop de raccourcis ont été faits au niveau de l’axe narratif, et forcément, l’histoire « perd » un peu de sa consistance, ou en tout cas n’a pas autant de matière que dans la version originelle d’Angie Thomas.

Alors bien sûr, le problème avec les adaptations c’est qu’il est impossible de pouvoir aborder absolument tous les aspects du texte… Mais ce qui m’interroge, c’est plutôt comment ont été choisis les éléments « qui restent » et ceux « qui sortent ». Il est dommage je trouve, d’avoir occulté certains personnages (en fait un personnage, pour être précise), ou même de n’avoir que très – trop – peu abordé le thème des gangs, qui est beaucoup plus présent dans le livre. Je regrette aussi le parti pris d’avoir voulu minimiser l’importance et la complexité de la relation de Starr avec son petit ami Chris. C’est quand même carrément dommage de n’avoir voulu en faire presque qu’une relation adolescente lambda alors que c’est tellement plus que ça ! Dans le contexte du drame qu’elle traverse, Starr est bousculée par tout un tas d’émotions contradictoires, elle qui se bat pour les droits des gens de son quartier, qui tente d’ouvrir les yeux aux autres élèves sur leur hypocrisie, elle a l’impression de n’être crédible aux yeux de personne, puisqu’elle sort avec un garçon blanc et plein aux as. Le livre reflète extrêmement bien le combat intérieur entre « les deux Starr », pour nous amener, la narratrice et le lecteur, à nous rendre compte que finalement, les deux ne sont pas incompatibles, bien au contraire !

Attention, je ne dis pas que tout est à jeter dans cette adaptation : le cadre est respecté, les personnages plutôt bien retranscrits… Je regrette juste finalement ce goût de trop peu, de pas assez.

Ce que je retiens finalement de cette lecture et de ce visionnage, ou tout simplement de cette histoire, c’est que ma vie d’ado (et même ma vie tout court) me paraît ridiculement « simple » face à ces situations bien réelles (et sur lesquelles s’est basée Angie Thomas pour écrire son livre il me semble), tristes et dangereuses, auxquelles font face ces jeunes des quartiers américains, ces gamins à qui on signifie très vite que leur vie est moins importante parce qu’ils sont noirs, que leurs diplômes valent moins parce qu’ils sont issus de « lycées noirs », que leurs CV ne valent rien parce qu’ils sont noirs, qu’ils sont forcément des drogués, des dealers ou les deux, parce qu’ils sont noirs. Ce qu’il me reste de cette lecture c’est une colère dans le ventre, et aussi un profond sentiment d’injustice. Sentiment salement renforcé, quand on prend la peine de lire/écouter/regarder les nouvelles régulièrement et qu’on voit s’enchaîner les scandales et les bavures policières.
Ce qu’il me reste de cette lecture c’est que le monde ne tourne décidément pas bien rond (mais ça, on commence à le savoir depuis le temps), et qu’il serait plus que temps que les adultes prennent soin de leurs enfants, pour de vrai, pour qu’à leur tour, ces derniers puisse changer la donne. Parce que si l’on continue à leur donner, leur montrer, de la haine, c’est forcément quelque chose qu’ils reproduiront.

Ou comme l’a si bien dit Tupac :

THUG LIFE
The Hate U Give Little Infants Fucks Everybody
« La haine que vous transmettez aux enfants détruit tout le monde »

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The Hate U Give – George Tillman Jr (2019)

11 réflexions au sujet de “The Hate U Give – Lecture & visionnage”

  1. Ah, les visionnages-lectures ! Je l’ai beaucoup fait avec King (que j’ai énormément lu et vu en adaptations) et je compte m’y remettre avec La Route de Cormac McCarthy. J’aime trop ce film.

    En attendant, ça fait un format de billet bien agréable !

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    1. Merci pour ce chouette message 🙂 ! Je flippais un peu de l’exercice, mais finalement ça me paraît plus parlant que si j’avais fait deux articles séparés !
      Je n’ai jamais réussi à me lancer dans les King, ce n’est pas le genre que j’arrive à apprécier à sa juste valeur… mais en tout cas je vais aller zieuter par chez toi, en attendant de lire ton visionnage-lecture de La Route 🙂 !

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  2. Je n’avais jamais été particulièrement attirée par le livre, encore moins par le film, mais tu me donnes bien envie de tenter le coup. Je suis sûre que je serais malgré tout bien attrapée par cette histoire, bien remuée et révoltée aussi à en croire ton billet. Pour ce qui est de l’adaptation, le problème de « trop peu, trop superficiel » est malheureusement souvent présent quand on a lu le livre avant. C’est pourquoi je vais attendre de voir si j’ai l’occasion de lire plutôt que voir.
    A bientôt !

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        1. J’ai des notifications sur mon téléphone haha !
          Pour L’empreinte c’est vraiment une lecture dure donc prends ton temps, ya pas d’urgence ne t’en fait pas 😉
          Moi j’ai terminé Le Sel de nos larmes au fait !

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          1. Je pense que c’est le dernier que je lirai pour être honnête, mais je lirai les autres sans trop tarder.
            Ah, cool ! J’ai hâte que tu me dises ce que tu en as pensé ! (Mais ça peut attendre un mail, bien sûr !)

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