Littérature

Là-bas, tout ira bien

Il y a quelques temps, j’ai eu le plaisir de recevoir une invitation de Babelio à participer à une masse critique privilégiée en découvrant Là-bas, tout ira bien de Sylvie Baussier et Pascale Perrier paru aux éditions Scrineo.

Nous sommes en 2030 et la France, comme bon nombre de pays européens, traverse une crise économique et sociale sans précédent. Il n’y a plus de travail, à peine de quoi manger, des coupures d’électricités à répétition, la monnaie ne vaut plus grand chose lk.JPGalors que tout est devenu hors de prix. Tout le monde est à cran, les agressions et les altercations ne sont pas rares.
C’est dans ce climat un poil tendu que Iza, Erwan et leurs parents décident, comme beaucoup de citoyens, de partir, voir si le bonheur ne s’est pas juste un peu déplacé ailleurs, et les attend tranquillement. Ailleurs c’est Là-bas, une contrée, un pays, dont tout le monde parle, dont tout le monde rêve. Là-bas, il y a du travail, de la nourriture, et une vie qui sera sans doute meilleure qu’ici. Alors la famille s’en va. Ils regroupent quelques affaires, une valise chacun. Ils empilent tout ça dans la voiture, et ils s’en vont, le cœur triste mais plein d’espoirs.

De son côté, Léon a décidé de prendre la route lui aussi. Ses parents ont beau essayer de garder le cap et la tête froide, le garçon n’est pas dupe : la situation familiale est catastrophique. La tante Maria, autrefois citadine convaincue, a dû se rendre à l’évidence et revenir vivre à la ferme familiale gérée par son frère (le père de Léon). Retour au bercail également pour la grand-mère du jeune homme, la maison de retraite devenait impossible à payer. Une nuit, Léon est réveillé en sursaut. Son père est dehors, blessé suite à l’irruption de trois hommes sur le domaine. Les agresseurs sont venus voler la dernière vache de la famille. Que faire désormais ? Les parents de Léon sont abattus. Le jeune décide alors de partir pour Là-bas, vers ce pays où tout le monde va demander asile. Il part seul. Une fois sur place, il trouvera du travail, et il enverra de l’argent à sa famille.

Erwan, Iza, leurs parents. Léon. Les voilà sur la route, partant vers une vie qu’ils espèrent tous meilleure, parce que de toute façon, Là bas, ça ne peut pas être pire qu’ici. Ils laissent derrière eux leurs maisons, leurs souvenirs, leurs vies. Les amis sont déjà partis, les voisins aussi. Ici, plus rien ne les retient vraiment, puisqu’il ne reste plus que la tristesse, la pauvreté, l’insécurité et l’inquiétude. La quête d’un nouveau bonheur commence… mais à quel prix ?

Je suis vraiment très contente d’avoir pu découvrir ce livre qui a été la petite claque à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Le sujet bien sûr, m’intriguait et m’intéressait énormément. Vu le contexte politique et sociétal dans lequel nous nous trouvons depuis plusieurs années, imaginer un roman jeunesse dans lequel la France est dépeinte comme un pays traversant une crise  sans précédent était un sacré pari que les autrices ont, pour moi, relevé haut la main.

C’est un sujet dur, une lecture pas des plus simples, qui m’a bousculée.
Déjà parce qu’elle m’a permis de remettre un peu plus à l’heure les pendules de mes a priori littéraires, de ceux qui ont parfois la dent dure, dont le très facile « les lectures pour ados touchent à des sujets très variés mais ne les explorent pas toujours à fond ». Alors oui, peut-être pour certains livres (mais ça, c’est valable pour tous les types de bouquins finalement), mais là ce n’est clairement pas le cas. Sylvie Baussier et Pascale Perrier abordent de manière très directe le quotidien de trois ados (Léon, Iza et Erwan) dans un pays où règne la violence de l’inflation, de la pénurie, de la peur et de l’exode. Tous les trois vont se retrouver  à errer sur les routes, passer par un camp de travail et même de réfugiés. Ni eux, ni le lecteur ne sont épargnés.
On se prend de plein fouet cette réalité vécue par nos trois protagonistes, sans vouloir y croire. Et c’est justement ce deuxième point qui m’a interpellée. Tout au long de ma lecture, j’ai eu beau essayé, mon esprit n’arrivait pas (ne voulait pas) imaginer notre pays et notre société dans un tel état. Comme dans une sorte de mécanisme d’auto-défense, il était plus simple pour mon cerveau de transposer ce récit dans une France « post apocalyptique », type La Route de Cormac McCarthy, plutôt qu’imaginer que notre population pourrait connaître le sort que d’autres subissent dans plusieurs pays du globe. Je me suis rendue compte qu’inconsciemment, il n’était juste pas possible, pour moi, de me retrouver un jour avec le statut de réfugiée demandant asile dans un autre pays en espérant pouvoir y refaire ma vie. C’est là qu’à résidé toute la réussite de ce texte pour moi : me mettre face à mes certitudes plus ou moins conscientes, et les fissurer de manière presque chirurgicale à travers le parcours de trois adolescents.

Là-bas, tout ira bien est selon moi à mettre entre toutes les mains. C’est un texte qui fait réfléchir, qu’on ait 14, 30, 52 ou 87 ans.
J’ai lu des critiques assez différentes sur ce livre, qui soulèvent des points relativement intéressants. Certaines d’ailleurs mettent en exergue le sentiment que j’ai eu (concernant le côté « post-apocalyptique ») et du coup déplorent que le roman puisse tourner, d’un certain point de vue, au roman diptyque d’aventure, arguant que beaucoup de situations décrites ne sont pas réalistes et loin d’être vécues par les migrants actuellement. Cependant, si je suis d’accord avec cette remarque, je me dis que même si les situations présentées par les autrices dans le livre paraissent « peu plausibles » au regard de la réalité des faits actuels, qui peut dire ce qu’il adviendrait de nous si notre pays était confronté à  l’effondrement de tout le système sur lequel il s’est construit ?

Certes ce livre n’est sans doute pas parfait, mais il a pour moi l’énorme qualité de nous faire ouvrir un peu les yeux, d’ouvrir une fenêtre sur la réalité de ce que pourrait être notre condition si nous étions, à notre tour, « de l’autre côté ». À l’heure où les sociétés se replient sur elles-mêmes, à l’heure où chacun se regarde un peu le nombril, à l’heure où la santé de notre planète est en jeu et que les frontières se ferment peu à peu, je ne peux m’empêcher de me dire que ce genre de texte, aussi imparfait soit-il, est primordial et nécessaire, et qu’il apparaît urgent de faire raisonner dans nos esprits cette simple question : et si c’était nous ?

Bonne lecture !
Le Joli

4 réflexions au sujet de “Là-bas, tout ira bien”

    1. J’ai le même ressenti ! Le sujet est vraiment intéressant et la manière dont le récit est mené nous amène, je trouve, à nous poser pas mal de questions.
      Merci pour ce petit passage chez nous 🙂

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